Des cépages anciens, entrés dans l’histoire.
La vigne, en Ardèche, est apparue bien avant la conquête romaine. Pline l’Ancien, dans son histoire naturelle, parle d’une vigne en Helvie « qui passe la fleur en un jour, ce qui la protège des accidents ». Mais, c’est au Moyen-âge que le vignoble ardéchois se développe et notamment les vins du Vivarais qui acquièrent une certaine notoriété. Les Helviens étaient un peuple gaulois dont le territoire s’étendait dans tout le département de l’Ardèche.
Plus tard, au XVIIe siècle, Olivier de Serres, le plus illustre des agronomes, vante les vins d’Ardèche « tant précieux et délicats qu’il n’est point besoin d’en aller chercher ailleurs ! »
Au début du 19ième siècle , le vignoble, autour de Serrières s’étendait sur plus de 130 hectares. La vigne, souvent plantée sur des coteaux dont, par endroits, la couche de terre qui recouvre le roc, n’est que de quelques centimètres. Le sol, sablonneux et argileux, convient tout particulièrement à la culture de la vigne et des arbres fruitiers. Elle donne alors, sur Serrières et les environs, comme Peyraud ou Limony, des vins rouges de qualité connus sous le nom de « Vins du Rivage ».
Puis vint le phylloxéra…
Arrivé en Ardèche dans les années 1860, le phylloxéra a été, pour la vigne et les viticulteurs de l’Ardèche et dans les départements limitrophes, un véritable désastre dont l’économie mis de nombreuses années à se remettre. Cette maladie qui faisait pourrir le raisin : l’oïdium, provenait de l’importation de plants américains. A l’époque, déjà, on avait fait venir des cépages américains qui, en principe, résistaient à toutes les maladies, mais qui étaient porteurs d’un puceron nommé « phylloxéra » . D’une vie assez courte, il mourrait lors des longues traversées. C’est à l’arrivée de la navigation à vapeur que, raccourcissant le temps de transport, il avait pu s’implanter sur le sol français.
Le phylloxéra est un minuscule puceron jaune qui se fixe sur les racines des ceps en formant des boursouflures, appelées nodosités, qui provoquent irrémédiablement le dépérissement des plants. Les premiers foyers de destruction des pieds de vignes sont signalés dans le Gard et gagnent rapidement l’Ardèche.
Serrières ne fut pas épargnée et le vignoble a été pratiquement détruit, malgré les efforts des propriétaires, alors persuadés que la vigne allait disparaître de la région. L’avenir économique de la commune était menacé.
Pour lutter contre ce fléau, il fallut, paradoxalement, importer des plants des Etats-Unis. Malgré le scepticisme de M. Rougier, professeur départemental d’agriculture qui déclarait à l’époque : « Il ne suffit pas de planter des cépages américains pour être assuré d’en obtenir un rendement satisfaisant. » Il faisait en fait allusion aux nombreux déboires et déceptions dans cette tentative de remplacement des cépages traditionnels, au point de décourager les propriétaires qui avaient pratiquement abandonné l’idée même de retrouver un vignoble rentable et de qualité.
C’est également au cours cette période que se développèrent les travaux d’Eugène Contassot, de Georges Siebel et de Georges Couderc*, sur la technique d’hybridation des plants. Il s’agissait alors, et schématiquement, de croiser des cépages américains avec des vieux plants traditionnels, en fécondant le pistil d’une espèce avec le pollen d’une autre espèce pour obtenir un nouveau cépage, plus résistant.
Bien que sceptique au départ, et malgré de nombreux échecs, M. Rougier n’a cessé d’encourager la filière dès que les premiers résultats sont arrivés : « La période expérimentale est maintenant terminée ; on peut aujourd’hui, profitant des résultats antérieurs, entreprendre avec des chances de réussite suffisantes la culture de cépages américains. » Il fallut alors étudier les sols, choisir le meilleur terrain, en fonction du cépage que l’on voulait planter. Les premières constatations montrent une production plus rapide les premières années, mais d’une durée plus limitée. Le choix des fumures est important. Puis, se pose le problème de trouver suffisamment d’hommes, capables de procéder au greffage, qui se révèle une opération compliquée. Certaines vignes sont abandonnées par manque de greffeurs.
Aussi, il a été décidé de créer une école de greffage à Serrières ce qui permis à la commune de reconstituer, pour une bonne part, le vignoble serrièrois.
La coopérative agricole, fondée à Serrières dans les années 1880, permit aux viticulteurs de réagir plus efficacement devant les diverses calamités causées par les intempéries, les tempêtes, les gelées, la sécheresse, mais aussi les insectes.
Les variétés
Les plants destinés à devenir « porte-greffe » s’appelaient : « le riparia », « le jacquez », « le solonis », « le vialla », « le york-madeira », « le taylor », mais aussi « l’herbemont », « l’othello », « le cynthiana ».
Il y avait aussi dans certaines régions, plus au sud : « le noah » ou « le clinton » qui faisaient partie de ces vins dont on dira plus tard, qu’ils rendaient fou, à cause du méthanol qu’ils produisaient lors de la fermentation.
L’interdiction*
La surproduction en France et en Algérie est devenue préoccupante. Elle s’élève à 95 millions d’hectolitres en 1934, et 15 à 20 millions pourraient rester dans les caves. La production des vins d’Algérie ne cesse d’augmenter et le gouvernement, dirigé alors par Pierre-Etienne Flandrin, doit impérativement réagir. Sa demande d’améliorer la qualité au détriment de la quantité est peu suivie d’effets. Depuis 1875, les quinze départements du Midi ont doublé leur production, passant de 15 a 30 millions d’hectolitres. De nombreuses exploitations sont menacées de la ruine.
Le choix, il faut bien le dire arbitraire, de la décision de désigner les cépages hybrides directs fait l’objet de débat houleux à l’Assemblé Nationale.
Le 14 Décembre 1934, en présence d’un très grand nombre d’élus, Monsieur Renaud, député de l’opposition attaque: « Vous voulez interdire l’utilisation de certains cépages, vous déclarez la guerre aux hybrides producteurs directs qui pourtant ne jouent dans l’augmentation de la production qu’un rôle insignifiant.
Si vous croyez vraiment à la surproduction, il faut frapper les responsables et eux seulement ».
Le sénateur Rouart rapporteur de la Commission de l’Agriculture présente l’article 6 et parle de : "cépages primitivement introduits d’Amérique depuis de longues années, qui ont des goûts détestables, tel le Noah, d’autres moins mauvais comme l’Othello et le Clinton qui sont tout de même des cépages inférieurs. On a voulu y joindre en même temps tout ce qu’a apporté l’hybridation française qui est une chose admirable" dit-il.
On assiste alors à une sorte de défoulement sur ces "maudits cépages", responsables de tous les maux.
Et pourtant, la plupart des députés présents ne connaissent même pas ces cépages hybrides producteurs directs et n’ont jamais bu de ces vins là. Les trois députés de l’Ardèche, MM. Froment, Boissin et Léonce Salles, présents lors de ces discussions, déposent un amendement demandant que « les hybrides Couderc, Seibel et Clinton ne soient pas interdits »
La question de la surproduction du vin d’Algérie devient presque une question secondaire .
Le 24 janvier 1935, le Journal Officiel publie la liste des cépages interdits :
« Le Conseil des Ministres, au vu de l’enquête complémentaire formulée le 15 janvier 1935 par la commission spécialisée décrète :
– art 1er: il est interdit d’offrir en vente et de vendre sur le marché intérieur ainsi que d’acheter, de transporter ou de planter les cépages énumérés ci-après, quelles que soient les dénominations locales qui leur sont données : Noah, Othello, Isabelle, Jacquez, Clinton, Herbemont ».
Ainsi, les viticulteurs, qui au prix de nombreux efforts et de sacrifices se croyaient sortis d’affaire se trouvent à nouveau face à une situation difficile, d’où, dans certaines régions du département, des manifestations, parfois violentes.
En trouve-ton encore de nos jours ?
Dans son livre, « Les vins mythiques de la Cévenne ardéchoise et du Bas–Vivarais », Freddy Couderc* prend parti pour leur réhabilitation en combattant quelques idées reçues, en particulier sur cette fameuse teneur en méthanol et son goût peu foxé. Il soutient que de bons assemblages permettent un bon équilibre avec les arômes de cassis du « jacquez » et de framboise de « l’isabelle », par exemple.
Tous ces cépages rustiques ne demandant que peu, ou pas de traitements, ont encore gardé la faveur de certains puristes. Il est vrai qu’il arrive que l’on en trouve un ou deux pieds, le long d’un mur de pierres sèches ou encore au fond du terrain de quelques anciens nostalgiques. Certains, produisent pour leur consommation personnelle un vin, dont l’originalité fait le bonheur des visiteurs ou des touristes, nombreux tout au long des magnifiques et sauvages paysages des Cévennes. Ces cépages se transmettent par bouturage et quelques producteurs bio tentent de les réhabiliter.
Ceci dit, ils sont toujours interdits à la vente et doivent rester dans la sphère privée.
*Freddy Couderc, Les Vins mythiques de la Cévenne ardéchoise et du Bas-Vivarais, Pont-Saint-Esprit, La Mirandole – Pascale Dondey éditrice, 2000, 207 p
*Les inventeurs d’hybrides au secours du vignoble Eugène Contassot, Georges Seibel, Georges Couderc
mémoire-ardeche.com
*Henri Serre, “Georges Couderc, un hybrideur de génie”, Cahiers de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°30
*Les fruits oubliés fruits.oublies@wanadoo.fr
DV