L’orange

Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais: car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l’écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d’ambre s’est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, — mais souvent aussi de la conscience amère d’une expulsion prématurée de pépins.
Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l’oppression ? — L’éponge n’est que muscle et se remplit de vent, d’eau propre ou d’eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L’orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, — et ce sacrifice odorant… c’est faire à l’oppresseur trop bon compte vraiment.
Mais ce n’est pas assez avoir dit de l’orange que d’avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l’air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l’accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s’ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l’ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l’avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.
Et l’on demeure au reste sans paroles pour avouer l’admiration que suscite l’enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l’épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.
Mais à la fin d’une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, — il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d’un minuscule citron, offre à l’extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l’intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C’est en lui que se retrouvent, après l’explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, — la dureté relative et la verdeur (non d’ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille: somme toute petite quoique avec certitude la raison d’être du fruit.


Francis Ponge – Le parti pris des choses (1942)

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Le pain

La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, – sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

Francis Ponge, Le Parti pris des Choses, 1942.

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L’huître

L’huître

L’huître, de la grosseur d’un galet moyen, est d’une apparence plus rugueuse, d’une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C’est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l’ouvrir : il faut alors la tenir au creux d’un torchon, se servir d’un couteau ébréché et peu franc, s’y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s’y coupent, s’y cassent les ongles : c’est un travail grossier. Les coups qu’on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d’une sorte de halos.
A l’intérieur l’on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d’en dessus s’affaissent sur les cieux d’en dessous, pour ne plus former qu’une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, frangé d’une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d’où l’on trouve aussitôt à s’orner.

F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942

Le cageot

J’éprouve parfois (souvent) la nécessité impérieuse d’échapper à l’ignorance et à la désinformation aussi, je vous propose ce texte de Françis Ponge. Demain ou plus tard, il vous parlera de l’huître.

Le cageot

A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.

Agencé de façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu’il enferme.

A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l’éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d’être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques – sur le sort duquel il convient toutefois de ne s’appesantir longuement.

(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942
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Amparo Sanchez

Juliet Browner

Juliett

Coll.Lucien Treillard

Depuis au moins une quinzaine d’années, je recherchais ce portrait de Juliet Browner la compagne de Man Ray de 1940 à 1976.

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Ces cépages interdits

Des cépages anciens, entrés dans l’histoire.

vigne en ardèche

La vigne, en Ardèche, est apparue bien avant la conquête romaine. Pline l’Ancien, dans son histoire naturelle, parle d’une vigne en Helvie « qui passe la fleur en un jour, ce qui la protège des accidents ». Mais, c’est au Moyen-âge que le vignoble ardéchois se développe et notamment les vins du Vivarais qui acquièrent une certaine notoriété. Les Helviens étaient un peuple gaulois dont le territoire s’étendait dans tout le département de l’Ardèche.

Plus tard, au XVIIe siècle, Olivier de Serres, le plus illustre des agronomes, vante les vins d’Ardèche « tant précieux et délicats qu’il n’est point besoin d’en aller chercher ailleurs ! »

Au début du 19ième siècle , le vignoble, autour de Serrières s’étendait sur plus de 130 hectares. La vigne, souvent plantée sur des coteaux dont, par endroits, la couche de terre qui recouvre le roc, n’est que de quelques centimètres. Le sol, sablonneux et argileux, convient tout particulièrement à la culture de la vigne et des arbres fruitiers. Elle donne alors, sur Serrières et les environs, comme Peyraud ou Limony, des vins rouges de qualité connus sous le nom de « Vins du Rivage ».

Puis vint le phylloxéra…

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Arrivé en Ardèche dans les années 1860, le phylloxéra a été, pour la vigne et les viticulteurs de l’Ardèche et dans les départements limitrophes, un véritable désastre dont l’économie mis de nombreuses années à se remettre. Cette maladie qui faisait pourrir le raisin : l’oïdium, provenait de l’importation de plants américains. A l’époque, déjà, on avait fait venir des cépages américains qui, en principe, résistaient à toutes les maladies, mais qui étaient porteurs d’un puceron nommé « phylloxéra » . D’une vie assez courte, il mourrait lors des longues traversées. C’est à l’arrivée de la navigation à vapeur que, raccourcissant le temps de transport, il avait pu s’implanter sur le sol français.

Le phylloxéra est un minuscule puceron jaune qui se fixe sur les racines des ceps en formant des boursouflures, appelées nodosités, qui provoquent irrémédiablement le dépérissement des plants. Les premiers foyers de destruction des pieds de vignes sont signalés dans le Gard et gagnent rapidement l’Ardèche.

Serrières ne fut pas épargnée et le vignoble a été pratiquement détruit, malgré les efforts des propriétaires, alors persuadés que la vigne allait disparaître de la région. L’avenir économique de la commune était menacé.

Pour lutter contre ce fléau, il fallut, paradoxalement, importer des plants des Etats-Unis. Malgré le scepticisme de M. Rougier, professeur départemental d’agriculture qui déclarait à l’époque : «  Il ne suffit pas de planter des cépages américains pour être assuré d’en obtenir un rendement satisfaisant. » Il faisait en fait allusion aux nombreux déboires et déceptions dans cette tentative de remplacement des cépages traditionnels, au point de décourager les propriétaires qui avaient pratiquement abandonné l’idée même de retrouver un vignoble rentable et de qualité.

C’est également au cours cette période que se développèrent les travaux d’Eugène Contassot, de Georges Siebel et de Georges Couderc*, sur la technique d’hybridation des plants. Il s’agissait alors, et schématiquement, de croiser des cépages américains avec des vieux plants traditionnels, en fécondant le pistil d’une espèce avec le pollen d’une autre espèce pour obtenir un nouveau cépage, plus résistant.

Bien que sceptique au départ, et malgré de nombreux échecs, M. Rougier n’a cessé d’encourager la filière dès que les premiers résultats sont arrivés : «  La période expérimentale est maintenant terminée ; on peut aujourd’hui, profitant des résultats antérieurs, entreprendre avec des chances de réussite suffisantes la culture de cépages américains. » Il fallut alors étudier les sols, choisir le meilleur terrain, en fonction du cépage que l’on voulait planter. Les premières constatations montrent une production plus rapide les premières années, mais d’une durée plus limitée. Le choix des fumures est important. Puis, se pose le problème de trouver suffisamment d’hommes, capables de procéder au greffage, qui se révèle une opération compliquée. Certaines vignes sont abandonnées par manque de greffeurs.

Aussi, il a été décidé de créer une école de greffage à Serrières ce qui permis à la commune de reconstituer, pour une bonne part, le vignoble serrièrois.

La coopérative agricole, fondée à Serrières dans les années 1880, permit aux viticulteurs de réagir plus efficacement devant les diverses calamités causées par les intempéries, les tempêtes, les gelées, la sécheresse, mais aussi les insectes.

Les variétés

Les plants destinés à devenir «  porte-greffe » s’appelaient : « le riparia », « le jacquez », « le solonis », « le vialla », « le york-madeira », «  le taylor », mais aussi « l’herbemont », « l’othello », « le cynthiana ».

Il y avait aussi dans certaines régions, plus au sud : « le noah » ou « le clinton » qui faisaient partie de ces vins dont on dira plus tard, qu’ils rendaient fou, à cause du méthanol qu’ils produisaient lors de la fermentation.

L’interdiction*

La surproduction en France et en Algérie est devenue préoccupante. Elle s’élève à 95 millions d’hectolitres en 1934, et 15 à 20 millions pourraient rester dans les caves. La production des vins d’Algérie ne cesse d’augmenter et le gouvernement, dirigé alors par Pierre-Etienne Flandrin, doit impérativement réagir. Sa demande d’améliorer la qualité au détriment de la quantité est peu suivie d’effets. Depuis 1875, les quinze départements du Midi ont doublé leur production, passant de 15 a 30 millions d’hectolitres. De nombreuses exploitations sont menacées de la ruine.

Le choix, il faut bien le dire arbitraire, de la décision de désigner les cépages hybrides directs fait l’objet de débat houleux à l’Assemblé Nationale.

Le 14 Décembre 1934, en présence d’un très grand nombre d’élus, Monsieur Renaud, député de l’opposition attaque: « Vous voulez interdire l’utilisation de certains cépages, vous déclarez la guerre aux hybrides producteurs directs qui pourtant ne jouent dans l’augmentation de la production qu’un rôle insignifiant.
Si vous croyez vraiment à la surproduction, il faut frapper les responsables et eux seulement ».

Le sénateur Rouart rapporteur de la Commission de l’Agriculture présente l’article 6 et parle de : "cépages primitivement introduits d’Amérique depuis de longues années, qui ont des goûts détestables, tel le Noah, d’autres moins mauvais comme l’Othello et le Clinton qui sont tout de même des cépages inférieurs. On a voulu y joindre en même temps tout ce qu’a apporté l’hybridation française qui est une chose admirable" dit-il.

On assiste alors à une sorte de défoulement sur ces "maudits cépages", responsables de tous les maux.
Et pourtant, la plupart des députés présents ne connaissent même pas ces cépages hybrides producteurs directs et n’ont jamais bu de ces vins là. Les trois députés de l’Ardèche, MM. Froment, Boissin et Léonce Salles, présents lors de ces discussions, déposent un amendement demandant que « les hybrides Couderc, Seibel et Clinton ne soient pas interdits »

La question de la surproduction du vin d’Algérie devient presque une question secondaire .

Le 24 janvier 1935, le Journal Officiel publie la liste des cépages interdits :
« Le Conseil des Ministres, au vu de l’enquête complémentaire formulée le 15 janvier 1935 par la commission spécialisée décrète :
– art 1er: il est interdit d’offrir en vente et de vendre sur le marché intérieur ainsi que d’acheter, de transporter ou de planter les cépages énumérés ci-après, quelles que soient les dénominations locales qui leur sont données : Noah, Othello, Isabelle, Jacquez, Clinton, Herbemont ».

Ainsi, les viticulteurs, qui au prix de nombreux efforts et de sacrifices se croyaient sortis d’affaire se trouvent à nouveau face à une situation difficile, d’où, dans certaines régions du département, des manifestations, parfois violentes.

En trouve-ton encore de nos jours ?

Dans son livre, « Les vins mythiques de la Cévenne ardéchoise et du BasVivarais », Freddy Couderc* prend parti pour leur réhabilitation en combattant quelques idées reçues, en particulier sur cette fameuse teneur en méthanol et son goût peu foxé. Il soutient que de bons assemblages permettent un bon équilibre avec les arômes de cassis du « jacquez » et de framboise de « l’isabelle », par exemple.

Tous ces cépages rustiques ne demandant que peu, ou pas de traitements, ont encore gardé la faveur de certains puristes. Il est vrai qu’il arrive que l’on en trouve un ou deux pieds, le long d’un mur de pierres sèches ou encore au fond du terrain de quelques anciens nostalgiques. Certains, produisent pour leur consommation personnelle un vin, dont l’originalité fait le bonheur des visiteurs ou des touristes, nombreux tout au long des magnifiques et sauvages paysages des Cévennes. Ces cépages se transmettent par bouturage et quelques producteurs bio tentent de les réhabiliter.

Ceci dit, ils sont toujours interdits à la vente et doivent rester dans la sphère privée.

*Freddy Couderc, Les Vins mythiques de la Cévenne ardéchoise et du Bas-Vivarais, Pont-Saint-Esprit, La Mirandole – Pascale Dondey éditrice, 2000, 207 p

*Les inventeurs d’hybrides au secours du vignoble Eugène Contassot, Georges Seibel, Georges Couderc

mémoire-ardeche.com

*Henri Serre, “Georges Couderc, un hybrideur de génie”, Cahiers de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°30

*Les fruits oubliés fruits.oublies@wanadoo.fr

DV

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Le “ JARDIN DES MOTS”

 

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Moment important à la maison de retraite de Serrières pour le démarrage de l’atelier de lecture et d’écriture. Ils sont une douzaine autour de la grande table. Il a fallu se serrer, chercher la meilleure place, rapprocher ceux qui voulaient se tenir à l’écart. Quel est donc ce personnage qui vient parler d’écriture, de lecture ? A quoi vont donc servir ces stylos et ce tas de feuilles blanches ? On se dirait à l’école !

Des interrogations vite levées par le petit tour de table au cours duquel, chacun va, sans s’en rendre compte, livrer un peu de soi et déclencher un premier échange.

L’animatrice, discrète mais présente, est là pour rassurer, encourager, tout en maintenant l’espace de liberté que doit représenter cet atelier tourné vers la parole. Si la vie est parsemée de moments importants, elle est aussi faite de petits évènements, de rencontres, de souvenirs que la « culture » de ce « JARDIN DES MOTS » va au fil des semaines faire ressortir, telle une nouvelle germination dont la finalité est de sortir de l’isolement, du renoncement. L’heure passe très vite, mais le printemps nouveau va sans aucun doute apporter le ferment nécessaire pour la rencontre suivante…

« Il m’a fallu plusieurs années pour passer le cap. Pour trouver les ressources nécessaires pour entamer ce travail auprès des personnes âgées en maison de retraite. Il m’a fallu, probablement, attendre le moment où, en moi s’est construit le petit module me permettant de recevoir toutes ces vies d’où l’interrogation, la surprise de chaque instant sont encore intactes. Ils ont besoin de moi, mais j’ai surtout besoin d’eux. »

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Ali Farka Touré

Sa biographie ICI

 

 

 

 

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Un matin

 

1873impress_soleil_levant

"Impression, soleil levant"
1873
48 x 63 cm – Huile sur toile
Musée Marmottan, Paris

 

Quand le matin vient

Que la nuit s’efface.

Qu’un jour nouveau arrive,

Que les yeux s’ouvrent

Au soleil de l’aube.

Ils ouvrent, détendus,

Les portes d’une mémoire

Polie par les jours passés,

Illustrée d’images floues

Dont vainement ils s’efforcent

De raviver la clarté

Dans une tentative émouvante,

De ramener en eux

Un temps impitoyable.

Ils compensent par l’écoute,

L’imagination assagie,

L’effacement des visages.

Ils réinventent des vies

A jamais éteintes

En inondant leurs cœurs

De sentiments immortels.

DV

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